Marguerite Poty, descendante LeBlanc

Marguerite Poty fut la première épouse de mon aïeul suédois Carl Anton Böckman*. Au delà de son tragique destin, c’est l’histoire de toute sa famille qui est fascinante et qui mérite sans aucun doute sa place ici. En effet, Marguerite Poty n’est autre que la descendante de Daniel LeBlanc et Françoise Gaudet, premiers colons de Port-Royal au Canada et ancêtres de la plus nombreuse famille canadienne à ce jour. Cette plaque commémorative ci-dessus a d’ailleurs été érigée par leurs descendants sur leur habitation ancestrale en 2004. 

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La plus grande famille canadienne n’a qu’une seule souche, Daniel Leblanc !

Henri IV lance au début du XVIIe siècle une campagne de recrutement pour fonder une colonie agricole sur de nouvelles terres fraichement appropriées … en Nouvelle-Ecosse ! Les premières familles sélectionnées sont pour la plupart originaires du Loudunais, et dans notre cas ici de la seigneurie d’Aulnay. Dès 1630 et après plus de deux mois de traversé, les premiers colons mettent le pied sur le nouveau monde. Dans quel état d’esprit étaient-ils ? Parmi l’une de ses embarcations se trouve en 1645 Daniel Leblanc, jeune homme de 19 ans originaire de Martaizé

Cinq ans après son arrivée à Port-Royal, Daniel Leblanc épouse une certaine Françoise Gaudet, née vers 1623, veuve de Jehan Mercier, et fille issue du premier mariage de Jehan Gaudet, censitaire de la seigneurie d’Aulnay à Martaizé en France. Arrivé sur le continent peu après 1634, Jehan Gaudet est d’ailleurs le doyen de Port-Royal puisqu’il est né aux alentours de 1575

Le couple s’installe le long de la rivière Dauphin, aujourd’hui Annapolis, et exploitent avec leurs compatriotes les terres des marais dont les récoltes abondantes leur offre un bon niveau de vie. Le surplus est d’ailleurs vendu à leurs voisins de Nouvelle-Angleterre et aux Miꞌkmaq, premier peuple installé sur ces terres que le roi de France leur a volé…

Un premier recensement effectué en 1671* fait état de 392 personnes dont Daniel Leblanc et de son épouse Françoise Gaudet avec un foyer composé de 7 enfants tous nés à Port-Royal ; Jacques Leblanc (1651) ancêtre de Marguerite Poty, François Marie (1653), Etienne (1656), René (1657), André (1659), Antoine (1662) et Pierre (1664). Ils sont classés parmi les fermiers possédant des bovin et des moutons. Cinq de leurs six fils ont déjà fondé leurs propres foyers et donné naissance à pas moins de 35 enfants, faisant ainsi de cette famille la plus grande d’Acadie ! Autre fait étonnant, Jean Gaudet est encore vivant ! Âgé de 96 ans, il est surnommé « l’Abraham de l’Acadie » par le père Archange Godbout, tant sa descendance est nombreuse et son âge avancé. Son fils Jean, âgé de 18 ans est encore à la maison et doit sûrement aider son vieux père qui est propriétaire de 6 bovins, 3 moutons sur 3 arpents de terre situés à deux endroits différents. Nous ignorons la date de son décès, ainsi que celle de sa seconde épouse, Nicole Colleson, qui a 60 ans au recensement de 1686.

  • Jacques Leblanc et Catherine Herbert

Daniel et Françoise célèbrent durant l’année 1673 le mariage de leur fils Jacques Leblanc avec Catherine Herbert au Grand Pré. Née en 1656 à Saint Charles les Mines, Catherine Herbert est la fille de Antoine Herbert, né en 1621 en France, et de Geneviève Lefranc, née à Touraine en Indre-et-Loire. Ce mariage sera prolifique pur la colonie puisqu’ils auront 14 enfants dont René (1685), ancêtre de Marguerite Poty.

René LeBlanc par Henry Wadsworth Longfellow

Cinq ans plus tard, la famille célèbre le mariage de René avec Anne Bourgeois. Le couple aura 6 enfants dont un fils, René, qui deviendra un notaire réputé de Grand-Pré et grand-père d’environ 150 enfants ! Et pas seulement… il sera insulté et capturé par les Mi’kmaq pour sa collaboration avec les envahisseurs anglais. Nombreux sont ceux qui chercheront à le nuire et même à chercher à le mettre en prison. Sa maison sera pillée, sa famille menacée. Mais malgré cette collaboration avec la couronne d’Angleterre, il finira déporté comme tous les autres Acadiens malgré son grand âge, séparé de ses enfants et petits enfants. Il mourra à Philadelphie dans la misère. Son histoire, plutôt bien documentée, fut immortalisée par le poème Evangeline, a Tale of Acadie de Henry Wadsworth Longfellow.

Cliquez ici pour lire l’article à son sujet.

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Première guerre intercoloniale

Frontenac recevant l’émissaire de Wiliiam Phips lors de la bataille de Québec selon Charles William Jefferys

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Daniel Leblanc est en ce nouveau monde un fermier prospère et très respecté de Port-RoyalAu recensement acadien de 1686*, notre couple de sexagénaire possède deux fusils, 15 bovins, 20 moutons et 7 porcs. Quant à leur fils Jacques et son épouse Catherine qui vient d’ailleurs de donner naissance au petit René dont nous suivront l’histoire ensuite (il y a beaucoup de René…), ils sont les propriétaires de 6 arpents de terre, 25 bœufs, 30 moutons, 15 porcs et possèdent 3 fusils. Mais ce beau paysage colonial porte à sa tête une grogne territoriale terrible entre la couronne de France et d’Angleterre… L’Acadie fut en effet sous domination anglaise entre 1654 et 1667, avant de retourner sous la couronne de France et y subir une nouvelle attaque en 1680. Mais le rayonnant Roi Soleil cherche à imposer son puissance au delà des frontières françaises, ce qui déplaît fortement ses voisins et notamment les anglais tout aussi avide de pouvoir. Chacun veut obtenir le contrôle total du commerce maritime et des fourrures et cette tension montante en Europe ouvre les portes de la première guerre intercoloniale outre-Atlantique. L’Angleterre envoie William Phipps (1651-1695), officier de la marine fraichement fait chevalier par le roi, connu plus tard pour son rôle dans le massacre des sorcières de Salem, afin de reconquérir les terres coloniales françaises. Port-Royal tombe en mai 1690. Six habitants de confiance, dont fait parti Daniel Leblanc, sont chargés de fournir la surveillance administrative et judiciaire pour la colonie en attendant l’arrivée d’un gouverneur anglais. William Phipps part combattre à Québec où il est repoussé par les troupes de Louis de Buade de Frontenac, permettant ainsi au français de reprendre Port-Royal. 

Le recensement effectué en 1693 nous apprend que Daniel, âgé de 66 ans, et Françoise, âgée de 76 ans, disposent sous leur toit de deux serviteurs, Jean Laforêt, 15 ans, et Marguerite Laprincesse, 12 ans. Leurs enfants demeurent dans le bassin des Mines, dont Jacques Leblanc à présent âgé de 42 ans et qui disposent de 12 bœufs, 6 moutons, 6 porcs, 11 arpents et 1 fusil.

Les attaques entre les anglais et les français ne cessent durant les années qui suivent. Après un changement de régime en 1695, les anglais demandent aux Acadiens de prêter le serment d’allégeance inconditionnelle au roi d’Angleterre. Daniel Leblanc signe le document avant de décéder. Il est suivi par son épouse qui comme lui décèdera avant 1698. L’Acadie est rendue à la France pour la troisième fois grâce au Traité de Ryswick signé en 1707.

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De Port-Royal à Annapolis Royal

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Un recensement effectué en 1707 indique que Jacques LeBlanc et son épouse Catherine Herbert demeurent aux Mines avec deux fils de moins de 14 ans, deux filles de moins de 12 ans et possèdent 7 arpents de terre, 10 bovins, 8 moutons et 10 porcs.

  • René Leblanc et Jeanne Landry

Son fils, René Leblanc prend pour épouse une certaine Jeanne Landry autour de 1708. Ils auront de nombreux enfants dont Joseph Leblanc, né le 27 janvier 1730 à Saint-Charles-les-Mines et qui sera le grand-père de notre Marguerite Potty.

Une énième bataille s’annonce. Cette fois on ne parle plus d’anglais mais de Britanniques depuis l’union en 1707 du royaume d’Ecosse et d’Angleterre. En 1710, le lieutenant-gouverneur du Maryland, Francis Nicholson, et Samuel Vecht, accompagnés d’une force de 3400 hommes s’emparent de Port-Royal alors défendu par quelques 300 militaires… Le gouverneur de l’Acadie, Daniel d’Auger de Subercase, capitule sans perte de vie. Port-Royal est rebaptisée Annapolis Royal en l’honneur de la reine Anne Ier d’Angleterre. Avec la signature du Traité d’Utrecht en 1713 la France cède définitivement l’Acadie péninsulaire au Royaume-Uni.

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La Déportation des Acadiens
« L’Ordre de Déportation » par Claude Picard de Saint-Basile

.Les Acadiens demeurent en grande majorité sur leurs terres mais les Britanniques ne veulent pas de ces français chrétiens, et dès 1720, les premiers plans de la déportation sont dessinés à la chambre des Lords : « Il nous semble que les Français de la Nouvelle-Ecosse ne seront jamais de bons sujets de Sa Majesté… C’est pourquoi nous pensons qu’ils devront être expulsés aussitôt que les forces que nous avons dessein de vous envoyer seront arrivées en Nouvelle-Écosse. ».

Les premières années sont centrées sur la demande d’allégeance inconditionnelle à la couronne Britannique en échange d’un droit à la religion et la propriété. Ce que refuse les Acadiens au nombre de 7598 personnes au recensement de 1737. S’ajoute alors un droit de neutralité dans le cadre d’un conflit contre la France. De nouveau, les Acadiens refusent et à force de concession, exigent tout simplement l’annulation du serment. 

  • Joseph Leblanc et Marguerite Trahan

René Leblanc et Jeanne Landry célèbrent le mariage de leur fils Joseph avec Marguerite Trahan. La cérémonie a lieu le 02 août 1750 au Grand Pré. Deux enfants naîtront de cette union, à savoir Jean-Baptiste né le 07 mars 1752 et Marguerite Ozite Leblanc, née le 25 juillet 1754 à Pisiguit. Cette dernière est la mère de Marguerite Poty. Hélas, cette cinquième génération de Leblanc ne profitera pas longtemps de ses terres puisque le gouverneur Charles Lawrence décrète la déportation des Acadiens le 28 juillet 1755. Il suggère de répartir la population en petits groupes, dans différentes colonies Britanniques où ils seront soumis à des travaux forcés. La petite Ozite vient seulement de fêter son premier anniversaire et elle ne sait pas encore que toute sa jeunesse va être un enfer.  

Afin de ne pas laisser le temps à la population de s’organiser pour une éventuelle négociation ou fuite, les commandants en place demandent aux pères de famille de chaque foyer de venir au fort ou à l’église pour local afin de recevoir les instructions du roi. Cette ruse n’est que trahison puisqu’une fois sur place, les militaires encerclent et arrêtent les hommes. Jacques Lacoursière raconte dans son livre « Histoire populaire du Québec, Tome I, Des origines à 1791 » que René et ses fils, son frère et sa femme Françoise Landry, étaient à l’église de Grand-Pré au moment de l’annonce de la déportation. 

“La déportation des Acadiens” par Lewis Parker

« Le 4 septembre, les habitants du district de Grand-Pré, de la rivière des Mines, de la rivière aux Canards et autres endroits adjacents prennent connaissance d’une sommation enjoignant aux hommes de se réunir le lendemain à l’église. Le vendredi 5 septembre 1755, à trois heures de l’après-midi, 418 des principaux habitants de Grand-Pré sont entassés dans la petite église du village. Winslow a fait apporter une table au centre de l’église et là, assisté de ses officiers, il fait traduire le texte de sa déclaration par René Leblanc ou François Landry (…) Les Acadiens doivent rester prisonniers, sauf les vingt d’entre eux désignés pour aller annoncer la nouvelle de la déportation aux femmes et aux enfants. Comme tous les navires ne sont pas encore arrivés, Winslow informe ses prisonniers qu’il appartiendra à la famille de chacun de les nourrir. Les habitants de la région de Grand-Pré semblent se résigner au sort qui les attend. Quelques jeunes gens veulent s’enfuir, mais le fils de René Leblanc les en dissuade ». En effet, les soldats pourchassent et tuent les fuyards. En attendant les bateaux, les femmes et les enfants restaient chez eux et devaient fournir de la nourriture aux soldats et aux prisonniers, mais certains d’entre eux furent tués sans nécessité. Sir Williams Phipps prit également le soin de faire arrêter tous les prêtres et missionnaires catholiques afin de les envoyer à Halifax, en Angleterre, en tant que prisonniers de guerre. Au début d’octobre, les navires lèvent l’ancre et se dirigent vers les colonies de la Nouvelle-Angleterre (États-Unis). 12000 des 18 000 français seront déportés cette année là. On sépare les parents et leurs fratries, et même les malades ou les plus âgés doivent subir ce voyage. Pour la plupart d’entre eux, ce sera la dernière fois qu’ils se verront. 

Le commandant John Handfield qui était au commande de l’embarquement des Acadiens à Port-Royal fut lui aussi touché par ce débarras de population puisqu’il avait épousé Elizabeth Winniett, une Acadienne…. il essaya tant bien que mal de ne pas séparer les familles et surtout de repousser la déportation de sa belle-famille mais elle fut embarquée trois mois plus tard ; « Je me joins à vous de tout cœur, écrivait-il, pour souhaiter que soit terminée cette partie extrêmement désagréable et des plus embarrassantes de notre service. » On continuera de déporter les Acadiens durant sept ans en traquant ceux qui tentent de se cacher. Il a été estimé que 20% de la population d’Annapolis Royal a pu s’enfuir mais que près de 500 d’entre eux moururent de froid et de faim au camp de Boishébert à l’hiver 1758. 
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Le cas de Joseph Leblanc dit JAMBO

Joseph âgé de 26 ans, sa femme et leurs enfants embarquent possiblement le 27 octobre 1755 à bord du Neptune, seul navire en partance de Pisiguit. Ont-ils été informés de leur destination ? Dans ce malheur il ne sont pas seuls puisque son beau-père, son frère Joachim et sa famille sont aussi du voyage. Il faut 4 à 6 mois pour atteindre par voie maritime l’une des treize colonies d’Amérique, et malgré ce lapse de temps, les autorités locales n’ont pas été informées de l’arrivée de ces déportés français, les laissant face à leur tragique destin : Le Massachussetts s’organise alors que la Virginie et la Caroline du sud refusent tout bonnement les 1500 français qui attendent dans le navire… D’ailleurs dans leurs terribles conditions de vie, une épidémie les tuera par centaine… s’ajoutant à ceux qui sont morts durant le voyage… 1226 Acadiens survivants sont renvoyés en Angleterre en mai 1756. Répartis en quatre groupes, 336 iront à Liverpool, 340 à Southampton, 300 à Bristol et 250 à Penryn. La traversée est difficile pour ces familles qui doivent en plus faire face à une terrible tempête. La flotte est dispersée et les navires subissent de graves dégâts. Le Violet et le Duke William sombreront dans l’Atlantique les 12 et 13 décembre 1758. Quatre Acadiens réussiront à monter une embarcation de fortune qui leur ont permis de rejoindre les côtés anglaises. 

Au travers de la déportation des Acadiens, l’exil de notre protagoniste Joseph Leblanc surnommé « Jambo » est choisi comme exemple dans l’œuvre ci-contre de Richard Holledge. Joseph Leblanc et sa famille arrivent le 26 juin 1756 à Liverpool en Angleterre. « Le bruit des manutentionnaires et des marins, des prostituées et des ivrognes qui travaillaient et maniaient sur les quais de Liverpool a été brièvement apaisé. Ils se sont arrêtés pour regarder un sloop de 86 tonnes, » The Industry « , attaché à côté. Sous le pont il n’y avait pas la cargaison de rhum à laquelle ils auraient pu s’attendre: pas de café ou de coton, de tabac ou de bois, pas même un lot d’esclaves sur lequel reposait une si grande partie de la richesse de la ville.Au lieu de cela, il y avait 336 prisonniers dans la cale; affamé, hagard, sale et malade, atteint du scorbut, assailli de poux.  »

Commence alors pour eux une détention qui durera six années ; Certains seront envoyés dans des baraquements sur les quais de Southampton, d’autres logeront dans des ruines d’ateliers de potiers à Liverpool. A Bristol, où personne ne les attend, ils restent trois jours et trois nuits sur les quais avant d’être parqués dans une vieille bâtisse. En revanche ils sont un peu mieux reçus à Falmouth où ils trouvent du travail et reçoivent comme prisonniers de guerre une somme de six sols par jour avec l’obligation de subvenir à leurs besoins. Marguerite Trahan décède en détention le 13 décembre 1757 à l’âge de 26 ans, Joseph est brisé. lettres fantômes » et de la correspondance entre exilés acadiens (1757-1785). Dans ses correspondances que l’on peut retrouver ici, dans « Les lettres fantômes » et de la correspondance entre exilés acadiens (1757-1785) de Jean-François Mouhot, il écrit une lettre le 21 septembre 1757 à son frère Charles situé dans le Maryland afin de lui annoncer le terrible nouvelle :

« A Charles Le Blanc,

Mon cher frère, je vous dis ces deux mots pour vous dire que ma très chère femme a quitté ce monde pour aller l’autre monde. Je vous dirai qu’elle a été malade huit semaines; elle mort [sic] de les trospisque [sic]. Mais elle a reçu tous les secours qu’un agonisant peut recevoir à sa mort. Pour moi je suis en bonne santé aussi bien que mes deux enfants. Je vous prie de prier pour elle et de la recommander à tous nos bons parents et amis. Vous saluerez mon oncle Charles Richard aussi bien que sa femme. Vous saluerez tante Marguerite Commo [Comeau] et toute sa famille. Vous saluerez Jean Jacques Terriot et son frère Olivier et tous les Français neutres en général.

Je suis en pleurant votre serviteur et frère,

Joseph Le Blanc »

Un état partiel des familles détenues à Liverpool au 31 décembre 1762 retrouvable ici mentionne Joseph. Il est avec ses deux enfants et sa nouvelle épouse, Agnès Hébert, dont le mariage eut lieu le 28 janvier 1758. De 7 ans sa cadette, elle faisait aussi partie du voyage depuis Pisiguit. Son frère Charles Leblanc qui perdit aussi sa première femme, épousera la même année Madeleine Gaudreau à Southampton.

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Le retour en France

Claude Picard – arrivée des acadiens à Belle-Île-en-Mer, 1765

Les acadiens qui restent des sujets français se meurent au Royaume-Uni et ses colonies. Le traité de Paris signé en 1763  met fin à la guerre de Sept Ans entre la France et la Grande-Bretagne et offre la liberté aux Acadiens de retrouver leur patrie. Le roi Louis XV et son ministre Choiseul promettent à l’Angleterre de rembourser la dette des Acadiens et de fournir les moyens pour les porter secours afin de les reloger en France.

Joseph, son épouse et leurs enfants embarquent pour l’Esturgeon en direction de Morlaix en Bretagne où Agnès Hebert met au monde deux enfants, Pierre Etienne né le 8 janvier 1764 et une petite Marguerite Blanche le 09 mai 1765. Pierre Etienne décèdera en cette même ville à ses 8 mois. Belle-Île-en-Mer qui fut récupérée par la France le 11 avril 1763 après avoir été ravagées durant deux années par les Britanniques est choisie pour accueillir 363 Acadiens dont 211 enfants. Les premières familles arrivent dès le 22 septembre et installées provisoirement dans les halles aux avoines, les acadiens aident à la constructions des maisons ou embarquent avec les patrons pêcheurs du pays. Un boeuf, un cheval, une charrette et trois faucilles furent distribués à chaque famille. Il est d’ailleurs encore possible de trouver leurs maisons avec l’année de construction gravées dans la pierre… au delà de cette trace de l’histoire, un tiers des Bellilois descendent aujourd’hui de ces familles. Joseph et sa famille arrivent au village de Kerlédéant en 1767, année de naissance de leur fille Marie Françoise Leblanc, suivi de Joseph Marie, né le 05 avril 1768 et Simon Louis Marie né le 04 avril 1771.

L’appel de la terre natale

Malgré la fin de ce fardeau et le retour chaleureux auprès de leurs compatriotes, les Acadiens veulent retourner sur leurs terres outre-Atlantique. Alors qu’une partie patientent en Bretagne ou dans le Poitou, la ville de Chantenay devient entre 1775 et 1785 un lieu de transit grâce au port de Nantes. 

  • Marguerite Ozite Leblanc et Jean Baptiste Poty

Joseph et sa famille quittent Belle-Île-en-Mer en 1773 et se retrouvent à Quimper dans le Finistère, où Marguerite Ozite Leblanc, à présent âgée de 19 ans, épouse en premières noces Jean Houart, matelot et fils d’une ancienne famille de Esquibien, dans le Finistère. La cérémonie est célébrée le 16 mai 1774 en l’église de Saint-Esprit-de-Lanniron de ladite ville. 

Agnès tombe de nouveau enceinte et la famille rejoint Châtellerault où elle donne naissance le 21 août 1775 à un fils qu’ils appellent Charles Marie Leblanc, en l’honneur de son frère Charles Leblanc qu’il retrouve d’ailleurs enfin, en cette ville française. Charles et sa nouvelle épouse avaient embarqué sur l’Ambition en 1768 et séjourné à Saint-Servan, Saint-Malo et Dinard. Les frères se retrouvent dans la même ambition ; repartir dès possible.

Le petit Charles Marie décède le à ses un an à Chantenay et La famille s’installe à Nantes en 1784. Entre le 29 juillet le 12 décembre 1785, 1000 passagers répartis dans sept navires prennent la direction de la Nouvelle-Orléans. Joseph, âgé de 54 ans, sa femme âgée de 49 ans, et leurs enfants Simon, 13 ans, Marie, 17 ans, Blanche 19 et Joseph 15 ans, embarquent à bord du Le Bon-Papa et arrive le 29 juillet 1785 à la Nouvelle-Orléans en Louisiane. Charles et Marguerite Geneviève Leblanc, l’une de ses filles survivantes, embarqueront le 27 juillet 1785 dans le Saint-Rémi qui prend aussi la direction de la Louisiane. Nous ne savons pas grand-chose de leur nouvelle vie là-bas mais nous savons que Agnès-Anne Hebert ne profitera pas longtemps de ce retour puisqu’elle décède le 06 juillet 1786 à Iberville en Louisiane. Joseph et Charles ont-ils retrouvés des neveux et nièces ? On sait que leurs frères et soeurs qui furent répartis dans les colonies britanniques auront de nombreux enfants. Pierre décède aux Etats-Unis le 07 février 1776, François décède le 06 novembre1756 en Caroline du Sud, Olivier décède en Pennsylvanie, sa sœur Madeleine Le Blanc décède le 03 avril 1779 à Saint-Domingue (Haïti).

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La nouvelle vie de Marguerite Ozite Leblanc à Bordeaux

Vernet, Claude-Joseph France, Musée du Louvre, Bordeaux depuis les Salinières

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Marguerite Osite Leblanc ne fera pas partie du voyage. Elle s’installe avec son époux à Paimboeuf en Loire-Atlantique puis à Bordeaux vers 1787. Elle mettra au monde cinq enfants qui décèderont en bas âge. D’ailleurs, alors qu’elle est enceinte de cinq mois de son cinquième enfant, Jean Houart décède le 05 janvier 1789 à l’âge de 45 ans. Elle se retrouve veuve à l’âge de 34 ans mais pour très peu de temps puisqu’elle épouse en secondes noces en l’église Saint-Rémy dès le 10 août un certain Jean Baptiste Poty, marchand fripier veuf de Marie Canau avec qui il aura eu au moins 7 enfants dont l’influant Jean François Xavier Poty que nous retrouverons plus tard. 

Elle donne naissance à Marie le 26 juillet 1791, à notre protagoniste Marguerite Potty le 19 février 1794, et un garçon mort né le 02 mai 1796. Pendant ce temps, les nouvelles outre-Atlantique ne sont pas bonnes puisque son demi-frère Simon Louis Marie décède le 28 janvier 1798, à l’âge de 26 ans, suivi de sa demi-sœur Blanche le 19 août à l’âge de 33 ans.

Que sont devenus les autres Acadiens ?

Environ 12 000 des 18 000 Acadiens furent déportés et 8000 moururent avant d’arriver à destination à cause des épidémies, des naufrages ou de la misère. Les survivants poursuivront leurs pérégrinations durant des années voir des décennies, avant de retrouver une terre où s’installer. Cela explique que les Acadiens, et leurs descendants, vivent dans des régions de globe très différentes : Canada (AcadieQuébec), archipel Saint-Pierre-et-MiquelonCôte Est des États-UnisLouisiane (les Cadiens), AntillesRoyaume-UniFrance, et jusqu’aux lointaines îles Malouines

En Géorgie, colonie pénitentiaire, ils sont d’abord complètement ignorés et livrés à eux-mêmes, puis tous arrêtés en 1756. En 1763, on leur donne 18 mois pour partir. La plupart iront à Saint-Domingue.

En Caroline du Sud, une importante communauté de Huguenots (protestants) est paniquée à l’arrivée de « ces papistes ». On les force à rester à bord des navires surpeuplés. Une trentaine réussissent à s’évader. En 1756, on organise une campagne de financement pour payer leur retour vers la Nouvelle-Écosse ! Ils rejoindront les partisans de Boishébert en lutte contre les Britanniques.

Au Maryland et en Pennsylvanie, on les emploie à divers travaux serviles. Aucun logement ni nourriture ne sont fournis. En 1756, la législature du Maryland adopte une loi qui prévoit la prison pour ceux qui n’ont pas d’emploi. À la frontière ouest, les troupes reçoivent l’ordre de tirer à vue sur ceux qui tenteraient de quitter la colonie. Tout Acadien qui désire s’éloigner de plus de 16 km de sa résidence doit avoir un passeport.

En Pennsylvanie également, le gouverneur Morris place les arrivants sous garde armée. Ils sont décimés par les maladies infectieuses et mis en quarantaine. Confiés aux county townships (juridictions locales) sous la direction du warden of the poor (« Gardien des pauvres », magistrat chargé de s’occuper des indigents), ils s’assemblent dans un bidonville de Philadelphie. On leur refuse du travail, mais on force leurs enfants à fréquenter les écoles anglophones. En 1763, les Acadiens du Maryland et de la Pennsylvanie partent pour la Louisiane. Certains s’arrêteront à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) où le gouverneur comte d’Estaing les met aux travaux forcés pour la construction d’une forteresse.

Le New Jersey refuse de recevoir des Acadiens.

À New York, on les parque à Staten Island et à Long Island. Environ un tiers sont employés comme indentured servants (servitude à contrat d’une durée limitée). Plusieurs s’évaderont. Finalement, les prisonniers partiront pour Saint-Domingue après le Traité de Paris.

Au Connecticut, ils sont gardés sous surveillance, puis expédiés vers Saint-Domingue en 1763. En 1767, un certain nombre s’installent au Nouveau-Brunswick.

Au moins 2 000 Acadiens arrivent au Massachusetts où une épidémie de variole les décime. Ils ne reçoivent aucune assistance du gouvernement local. Leurs enfants sont arrachés de leurs familles pour être distribués chez les colons anglais dans diverses régions du Massachusetts. En 1756, on les engage comme indentured servants. On interdit aux navires de les engager comme marins. En 1757, on leur interdit de quitter les villes où ils sont assignés à résidence. En 1763, certains partent pour Saint-Domingue, mais la majorité pour le Canada.

Environ 3 500 Acadiens se réfugient en « Acadie française », le long du fleuve Saint-Jean et de la rivière Miramichi (Nouveau-Brunswick actuel) sous la direction de l’abbé François Le Guerne. Beaucoup d’entre eux meurent de faim et de froid durant l’hiver 17561757, vu l’impossibilité de pratiquer les industries traditionnelles (pêche, agriculture) pendant la guerre. De plus, entre 1756 et 1758, les autorités de la Nouvelle-Écosse offrent des primes pour les prisonniers acadiens et, moins officiellement, pour leurs scalps. Tous ces camps de réfugiés sont détruits par l’avance des troupes britanniques dans les années qui suivent.

Pour les Acadiens qui réussirent à revenir en Acadie plusieurs années après la déportation, leurs droits politiques leur seront refusés jusque dans les années 1830. Pour d’autres, qui deviendront les Cadiens, la colonie, à ce moment espagnole, de la Louisiane, deviendra une nouvelle terre de regroupement.

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Source :
http://www.acadian-home.org/census1693.html
https://geneabujold.accra.ca/getperson.php?personID=I52&tree=Bugeaud
https://www.nosorigines.qc.ca/GenealogieQuebec.aspx?pid=660313&partID=21566
https://www.acadienouvelle.com/chroniques/2020/08/14/rene-leblanc-notaire-de-grand-pre-homme-de-confiance-des-britanniques
http://www.cyberacadie.com/cyberacadie.com/index3d12.html?/lieux-historique/Historique-de-Port-Royal.html
https://www.erudit.org/fr/revues/ijcs/2011-n44-ijcs0130/1010082ar/
Richard, ACADIA ; Montréal, 1895 ; vol. II, p. 379-380
L’histoire Acadienne : Notre maître le passé, Lionel Groulx, Bibliothèque de l’Action française, 1924
Jacques Lacoursière raconte dans son livre « Histoire populaire du Québec, Tome I, Des origines à 1791

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