Carl Anton Böckman, marin Suédois

Mon arrière-grand-père à la 4ème génération

« On dit qu’il s’est disputé avec ses parents… il aurait pris une barque et serait allé jusqu’à Bordeaux » .

Voici ma première intrigue généalogique. Une rumeur familiale que me faisait part ma grand-mère paternelle sur son aïeul suédois et dont on ne possédait aucune preuve d’existence… la curiosité grandissante, j’ai débuté mes premières recherches ; un coup d’œil rapide dans les registres bordelais, et le voici ; Un acte de mariage à Bordeaux mentionne « Carl Anton Böckman, marin né au Royaume de Suède et demeurant à Bordeaux depuis 8 ans ».
Le registre laissé ouvert, je me suis endormie sans savoir que cette nuit là est née passion pour la généalogie.
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Enfance en Suède

Lars Böckman, officier des troupes suédoises, épouse une certaine Catharina (Torsun ou Tholsdotter) de 19 ans sa cadette… Le couple s’installe à Havås avant de devoir déménager à Kjellsbyn à Jörlanda en 1789, suite la promotion de Lars. Il est en effet nommé capitaine du régiment d’infanterie des Dragons Verts du Bohuslän. Développé par Gustave II Adolphe de Suède, les Dragons se déplacent à cheval et combattent à pied, armés d’un sabre, d’une hache et d’un fusil. Catharina donnera naissance à pas moins de dix enfants dont Carl Anton Böckman né et baptisé le 25 octobre 1785 à Havås paroisse de Forshälla. Carl Anton Böckman demeure avec sa famille jusqu’en 1803 à Jörlanda, en Suède.

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Un Böckman débarque à Bordeaux

Pierre Lacour – Port et quai de Bordeaux dit Les Chartrons et Bacalan – 1804

Les rumeurs familiales racontent que Carl Anton Böckman se serait disputé avec ses parents et qu’il aurait aussitôt pris son envol. Il embarque en tant que second maître d’équipage dans le Brick Le Malais et s’installe à Bordeaux en 1804. Les archives maritimes de la ville ayant brûlé, il ne m’est hélas possible d’obtenir quelconques informations concernant son parcours…

Carl Anton vit à quelques pas de la Garonne et exerce le métier de marin. Est-il toujours en contact avec ses parents ou frères et sœurs ? Son père Lars Böckman décède le 27 avril 1811 à Resteröd, province de Bohuslän, à l’âge de 75 ans.
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Funeste mariage au Château Trompette

La ville de Bordeaux célèbre le 15 octobre 1812 le mariage de notre suédois Carl Anton Böckman ! On y apprend que « Le Sieur Carl Anton Bokman » demeure au 28 quai du Chapeau Rouge avec une certaine Demoiselle Marguerite Potty, bordelaise âgée de 18 ans et… enceinte de 8 mois ! 

Marguerite Poty est la fille de Jean Baptiste Poty, marchand tripier, et de Marguerite Ozite Leblanc, descendante de la plus grande famille de colons français établie en Acadie*, en Nouvelle Ecosse. Son frère, François Poty, tailleur d’habit de 41 ans demeurant au 2 Glacis du Château, sera une personne déterminante dans la vie de notre ancêtre Carl Anton et peut-être est-ce lui d’ailleurs qui a arrangé le mariage. Il fera parti des témoins avec les Sieurs Antoine Moreau, serrurier de 47 ans et demeurant au 28, rue Château Trompette, Pierre François Perard âgé de 60 ans, préposé à l’octroi, demeurant au 49 rue Moreau et Joseph Lasa peintre de 41 ans demeurant au 27 Glacis. Un contrat de mariage est signé au préalable par les époux le 8 juin 1812 devant le Sieur Duprat, notaire Impérial à Bordeaux.

Le couple emménage au 28 Glacis du Château Trompette.

Après trois siècles de domination anglaise, la ville de Bordeaux repasse sous l’autorité de la couronne de France après sa victoire lors de la bataille de Castillon en 1453. Charles VII ordonne la construction du Château Hâ et du Château Trompette (actuelle Place des Quinconces) afin d’imposer son autorité. Pire, accusé de trahison pour avoir soutenu l’autorité anglaise, les bordelais se voient à dure répression du roi : Les seigneuries sont réquisitionnées, la langue gasconne est interdite, les juridictions sont supprimées et les taxes sont augmentées pour financer la construction des deux châteaux. Les bordelais se révoltent et détruisent le château. Il faut attendre 1659 pour que Louis XIV ordonne sa reconstruction sous forme de citadelle, détruisant ainsi les plus belles maisons alentours, le couvent des Jacobins du XIVe siècle et les ruines gallo-romaines des Pilliers de Tutelle. Et histoire de soumettre un peu plus son autorité, la hauteur des maisons bordant les allées sont limitées pour permettre les coups de canons…

Marguerite Poty accouche le 24 novembre d’une fille qu’ils appellent Anne MarieCarl Anton fait la déclaration de naissance en présence de Louis Flamand, 36 ans, Capitaine au 66ème régiment d’infanterie de ligne et membre de la légion d’honneur, demeurant au Château Trompette, et François Ferrand, clocher âgé de 36 ans, demeurant au 7 rue Neuve de l’Intendance. Marguerite tombe de nouveau enceinte quatre mois plus tard et donne naissance à un garçon le 31 décembre 1813 qu’ils choisissent d’appeler Pierre Léon Théodore. La déclaration de naissance est faite par le docteur Antoine Ignace Bonaventure Carrié en présence des Sieurs Pierre Léon Saint Guirons, 39 ans, Capitaine retraité et Commandant de dépôt des Blessier, 31 rue du Parlement, et de Laurent Biaud, 52 ans, cocher demeurant au 159 rue du palais Gallien. Il est indiqué que le couple demeure au 19 Glacis du Château Trompette.

En avril 1814, le capitaine de vaisseau Jacques Mathieu Régnauld, commandant du Régulus, navire de guerre de la marine Napoléonienne, reçoit l’ordre de contrôler l’embouchure de la Gironde pour en interdire l’entrée aux Britanniques. Accompagné des bricks Le Malais, le Sans-Souci et le Java, les quatre navires sont rapidement confrontés à une dizaine de navires anglais venus reprendre le contrôle de l’embouchure avec une puissance de feu bien plus supérieure. La situation étant désespérée, les français se mettent à l’abri devant le fort de Meschers et décident de saborder la flotte plutôt que de la laisser aux mains de l’ennemi. Les navires sont mis à feu durant la nuit du 7 au 8 avril 1814. La légende veut que le Régulus brûlera durant trois jours et trois nuits. Notre ancêtre a t-il fait parti de l’équipage ?

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Le 03 janvier 1815 à 2h du matin, le petit Pierre Léon Théodore décède trois jours seulement après son premier anniversaire… Malgré ce drame, la famille continue de se construire puisque Marguerite Poty tombe de nouveau enceinte 4 mois plus tard. Elle accouche le 05 janvier 1816 d’une fille qu’ils nomment Marie Emilie. La déclaration est faite par « Charles Antoine Bockman » en présence de François Poty, frère de Marguerite demeurant au même Glacis, numéro 1, et Dominique Dutrey, cocher, témoin majeur demeurant au 4 rue du Temple.

Est-ce qu’il y a eu des complications suite à cet accouchement ? On ne sait… Marguerite Poty décède brutalement le 14 février 1816 soit 5 jours avant son 23ème anniversaire. Elle laisse derrière elle son bébé et sa fille Anne Marie âgée de trois ans. Marguerite est inhumée au cimetière de la Chartreuse. 
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Carl Anton Böckman et sa seconde vie avec notre aïeule, entre bonheur et malheur!

Dans son malheur Carl Anton ne sera veuf que très peu de temps puisque le 20 avril 1816, deux mois plus tard, il épouse en seconde noces Silvaine Rigaud. Âgée de 34 ans, native de Bonnat, dans la Creuse, Silvaine est la fille Hyacinthe Rigaud et Catherine Desgroslard. Elle est surtout la sœur de Catherine Rigaud, épouse de Jean François Xavier Poty, frère de Marguerite Poty ! Pour faire simple, Carl Anton épouse la sœur de sa belle-sœur ! Silvaine vivait d’ailleurs au 1 Glacis du Château Trompette avec Marguerite Ozite Leblanc et François Poty ! Ils se connaissaient donc et ce mariage est possiblement un arrangement familial… Les témoins sont les Sieurs Antoine Marion, chapelier demeurant au 6 place du Chapeau Rouge, Jean Creyssac, cafetier demeurant au 5 quai du Château Trompette, le fameux François Potty, tailleur d’habits demeurant au 1 du même quai et Antoine Mimandre, propriétaire au 40 fossés de l’Intendance.

Le 17 janvier 1817, soit 9 mois après leur mariage, Silvaine donne naissance à une fille à qui ils donnent le prénom Marie. La déclaration de naissance est faite en présence de François Potty et Pierre Lachapelle, colon demeurant au 22 rue Saint Louis.

Très impopulaire et devenu un obstacle à l’expansion urbaine, le Château Trompette est rasé en 1818. La place des Quinconces est aménagée de 1818 à 1828 sur cet emplacement. La famille emménage au 9 rue Saint-Esprit et le malheur s’abat de nouveau sur la famille puisque la petite Marie Emilie âgée de 21 mois décède le 14 août 1817 en leur domicile. La déclaration est faite par de Jean Cymart, marchand de la même rue et Jean Rickert, capitaine de navire demeurant au 22 rue Ramonet. Seule la petite Anne Marie Bökman demeure encore le témoin de l’union entre Carl Anton et Marguerite Poty

La naissance le 21 février 1818 de leur seconde fille, Marguerite Emilie Bokman, aurait pu être un nouveau souffle à notre couple mais hélas la petite ne survivra pas plus de 5 mois… Malgré la mort de leur nourrisson, Carl Anton et Silvaine continuent d’agrandir leur famille et cette dernière accouche le 10 septembre 1819 d’un garçon qu’ils nomment François Théodore Bokman. Les témoins sont les Sieurs François Potty, et Pierre Lachapelle, colon, demeurant au 22 rue Saint Louis.

A chaque naissance, son décès. Alors que Silvaine est enceinte de son quatrième enfant, la petite Anne Marie Bokman, première enfant de Carl Anton Bokman et de sa première épouse Marguerite Poty, rend l’âme le 02 mai 1820 à Bordeaux à l’âge de 8 ans. Elle emporte avec elle toute trace de cette union que formait Carl Anton et sa première épouse Marguerite Poty

Cinq mois plus tard, Silvaine accouche le 29 octobre 1820 d’une fille qu’ils appellent Elisabeth Adèle Bokman. La déclaration est faite en présence des Sieurs Jean Baptiste Marion, chapelier, et Joseph Corne, militaire retraité à l’Hôtel de ville.

Le 2 juillet 1827, Silvaine Rigaud, enceinte de 8 mois, perd sa mère Catherine Desgroslard, âgée de 79 ans et qui demeurait au 1 rue Saint Louis à Bordeaux. Silvaine accouche le 20 octobre 1823 d’un garçon nommé Jean Charles Henri Bokman et qui décèdera le 25 août 1827.

Malgré ses 44 ans, Silvaine Rigaud tombe enceinte et met au monde un dernier enfant le 24 juillet 1826. Il s’agit de notre ancêtre François Alexandre Bokman. Carl Anton, âgé à présent de 40 ans, fera la déclaration en présence de François Poty et de Joseph Corne, militaire retraité.

 

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Des mariages franco-suédois à Bordeaux

Parmi les 9 enfants issus de notre ancêtre Suédois, seuls Marie (1817), François Théodore (1819), Elisabeth Adèle (1820) et mon aïeul François Alexandre (1826) passent l’âge adulte. La famille demeure au 24, rue Saint Esprit à Bordeaux.

Théodore et Alexandre exercent tous deux le métier de menuisier ébéniste et Marie, l’aînée de la fratrie, sera la première à se marier ! Âgée de 31 ans, elle épouse Pierre Hostin, âgé de 32 ans, natif de Lamarque en Gironde. Le mariage est célébré le 01 décembre 1843 à Bordeaux et mon aïeul Alexandre Bokman fait parti des témoins avec Jean Baudier, journalier, Raphael Valéry, commis rue Veyrières et Jean Chansetoire (?).

Février est un mois funeste pour notre famille puisqu’en plus de la triste mort de Marguerite Potty et de Marguerite Emilie, Silvaine Rigaud décède à son tour, le 04 février 1847, à l’âge de 65 ans. Elle est inhumée dans le champ commun du cimetière de la Chartreuse à Bordeaux, les tombes individuelles n’étant la norme que quelques années plus tard. Mais un heureux évènement vient illuminer ce funeste mois de février puisque François Théodore épouse le 12 février 1848 à Bordeaux, à l’âge de 28 ans, Marie Melina Coudert, âgée de 21 ans, native de Bordeaux, et fille de Jean Antoine Coudert, marin retraité, et de Charlotte Campon. Alexandre Bokman, sera de nouveau témoin du mariage avec Pierre Lanau (?), peintre demeurant au 12 rue Elisabeth, Jacques Barre, sommelier, et son futur beau-frère Jean Baudin, journalier demeurant au 22 rue Saint Esprit. En effet, Jean Baudin ou plutôt Jean Marie François Baudin Rochard, natif de Servans en Ile-et-Vilaine, épouse le 15 février 1849 à Bordeaux, Elisabeth Adèle Bokman alors âgée de 28 ans. A son tour, François Théodore devient le témoin de leur mariage avec son frère Alexandre, Pierre Lapierre, aussi ébéniste, et Etienne Fumeau, perlier.

Marie Bokman demeurant au 23 rue Barreyre et son petit frère François Théodore demeurant au 72 rue Saint-Joseph donneront la même année les deux premiers petits enfants de notre ancêtre suédois ; Deux fils a qui ils donneront les mêmes prénoms ! En effet Marie mettra en effet au monde un fils le 16 janvier 1850 nommé François Alexandre Hostin et François Théodore aura un fils le 11 août 1850 qui portera les mêmes prénoms, François Alexandre Bokmann. Elisabeth Adèle « Bokguemann » comme ainsi déclaré, mettra aussi au monde un fils l’année suivante, le 21 avril, qu’elle nommera comme son frère, François Théodore.

Quatre des enfants de notre ancêtre suédois vivent à présent leur vie, et c’est au 72 rue Saint Joseph, chez son fils François Théodore Bokman chez qui il demeure, que Carl Anton Bökman quitte ce monde le 19 avril 1855 vers 22h à l’âge de 69 ans. 

Antoine Gazillon, tonnelier et Jean Fougère, plâtrier, déclare le décès de Carl Anton à la mairie de Bordeaux. Ils donnent les informations nécessaires à son état civil mai se trompent concernant l’origine de notre aïeul. En effet, les deux témoins déclarent que notre suédois est né en Inde !

Mon aïeul François Alexandre Bokman, se mariera six ans après la mort de son père. Ebéniste âgé de 35 ans, demeurant au 3 rue Saint-Louis, Alexandre prend pour épouse notre ancêtre Marie Jeannot, lingère âgée de 24 ans, native de Queyrac en Gironde. La cérémonie est célébrée le le 22 août 1861 à Bordeaux. De cette union naîtra mon aïeul François Charles Bokman

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Les descendants franco-suèdois de Carl Anton Böckman

Mariage entre mes aïeux Charles Böckman et Anaïs Falgueyret, 1904, Le Bouscat

François Alexandre, François Alexandre, Frédérick Charles, Ferdinand François, Charles François, Henri, Henri François, François Théodore, François Théodore, Pierre Léon Théodore, Charles François, Fernand François, François Charles… la famille qui semble soudée donnent les mêmes prénoms à leurs descendants. L’écriture du nom différera selon les branches « Böckman », « Bokman », « Bokmann » ou encore « Bokguemann » (merci pour la prononciation écrite!). La rumeur familiale veut que les « Bokmann » aient fait le nécessaire durant la guerre afin de faire tomber le double « n » dans le cas où on les prendrait pour des juifs… 

A cette époque il n’était pas bien vu d’avoir de nombreux enfants, mais les morts prématurées viendront éteindre tour à tour les lignées, ne nous laissant que nous, descendants directs qui hélas ne portant plus ce patronyme car issues de Charlotte et Germaine Böckman, des descendantes qui ont vu leur nom disparaître par le mariage. D’ailleurs, n’ayant eu de garçon, leurs parents furent déshérités et c’est peut-être pour cette raison que la famille a perdu contact avec leurs cousins. Peut-être que les registres modernes encore inaccessibles à ce jour viendront nous faire une belle surprise qui sait, la dernière en date que j’ai trouvé est une certaine Charlotte Elisabeth Böckmän, décédée en 1988 à Bordeaux, descendante de François Théodore.

Mais je crois bien qu’il n’existe plus à ce jour de descendants de Carl Anton portant le patronyme Böckman à Bordeaux…