Pierre Delaunay, capitaine négrier

Pierre Delaunay (1756 – 1813), capitaine négrier

« Taille de cinq pieds trois pouces (1m67), cheveux et sourcils châtain, yeux bleus, nez bien fait, bouche moyenne, menton long, front petit, visage opale »

Port de Bordeaux, 1ème vue – prise du côté des Salinières – Joseph Vernet – 1758

Fils de nos ancêtres Robert Delaunay et Marie Anne Santier, Pierre Delaunay se lance dans une carrière maritime dès l’âge de 15 ans. Ses états de service arrêtés au 7 août 1778 nous permettent de suivre ses itinéraires : Il embarque le 28 octobre 1771 en tant que pilotin pour 15 livres sur le Suzanne commandé par le capitaine Pierre Deyris. Il revient de la Martinique le 29 juin 1772 et repart dès septembre pour de nombreux voyages commerciaux vers Saint-Domingue. Son expérience lui permet d’évoluer en tant que deuxième lieutenant pour 60 livres à bord des navires appartenant aux Sieurs Couronnat.

Alors qu’il vogue une nouvelle fois vers Saint-Domingue en 1777, son frère Jean Alexandre se marie à Paris et sa sœur Marie Angélique fait un beau mariage à Bordeaux avec notre ancêtre Jean Souffront, bourgeois négociant ayant fait fortune à Saint-Domingue. Mais la France s’engage dans la guerre d’indépendance opposant les treize colonies d’Amérique du Nord et le royaume de Grande-Bretagne. Son bâtiment est pris d’assaut par les Anglais le 11 février 1778, obligeant Pierre a rentrer sur Bordeaux à bord du navire l’Herman, commandé par le capitaine Jean Deturnis, où il travaille pour payer son passage.

A son retour il fait établir ses états de service le 07 août 1778 par le commissaire des classes de la Marine de Bordeaux dans l’espoir d’accéder au grade de capitaine de navire. Mais n’ayant ni l’âge minimum requit ni effectué de campagne au service du roi, il est invité a acquérir plus d’expérience.

Dans l’attente, Pierre concrétise un autre projet puisqu’il épouse Thérèse Réaut en l’église Saint-Michel de Bordeaux le 26 octobre 1778. Cette dernière n’est autre qu’une voisine appartenant au milieu des artisans et demeurant avec sa mère rue du Soleil. Le contrat de mariage passé entre Pierre et Thérèse montre un couple démuni : nulle dot, nul avoir personnel, pas même quelques meubles. Pierre quitte le domicile de ses parents et s’installe chez son épouse.

Port de Rochefort – vue du magasin des Colonies – Joseph Vernet – XVIIIe siècle

Durant le printemps 1779, Pierre se rend à Rochefort pour servir comme volontaire navigateur sur un vaisseau du roi ; une étape à effectuer pour pouvoir espérer devenir capitaine. Il embarque le 24 mars 1779 sur la Dorade, gabarre de 14 canons, commandée par le lieutenant de frégate Blanchard. Alors qu’elle escorte un convoi de huit navires de l’île d’Aix à Bayonne, la gabarre est attaquée le 04 mai par un corsaire anglais de 18 canons. Le capitaine est tué au bout d’une heure et la Dorade parvient à mettre en fuite le corsaire. Pierre Delaunay s’en sort sans dommage. Il quitte la campagne royale et sur son congé en date du 12 juillet 1779, il est indiqué que Pierre est un « Très bon sujet s’étant bien distingué dans le combat ».

De retour à Bordeaux, il assiste le 05 août 1779 au baptême de son premier enfant en la cathédrale de Saint-André qui reçoit pour parrain son grand-père paternel, Pierre Robert Delaunay, dont il porte les prénoms. Ce même jour, le capitaine Jean Marchegay fait enregistrer à l’amirauté l’équipage du Laboulay, navire de 89 tonneaux dont il assure le commandement pour se rendre au Cap-Français. Pierre y figure en tant que capitaine en second à 180 livres. Malgré son jeune âge, il fait une brillante campagne et arrive à obtenir une requête de l’ordre du roi daté de Versailles le 25 août 1779 l’autorisant à passer un examen sur ses compétences dans l’art de la navigation et donnant accès au titre de capitaine, maître ou patron et pilote. Il dépose sa requête à l’amirauté de Guyenne le 27 mai 1780 et passe l’examen avec succès !

Quelques jours plus tard, son père meurt subitement le 18 juin 1780 alors qu’il séjournait au bourdieu de son gendre Jean Souffront, à Yvrac en Gironde. Il est enterré le lendemain au cimetière de l’église paroissiale.

Le 24 décembre de la même année est célébré le baptême de son deuxième enfant, Jean, né la veille, et qui reçoit pour parrain son beau-frère Jean Souffront. Mais Pierre est porté absent, déjà reparti en mer sur les navires de commerce bordelais…

Entre 1781 et 1783, Pierre Delaunay commande l’Elizabeth avec pour lieutenant son frère cadet Pierre Antoine Léonor Delaunay. Ils quittent Bordeaux pour Fort-Royal le 16 juin 1781 et, de retour de la Martinique le 29 janvier 1782, ils partent en direction de Saint-Domingue et ne reviennent sur Bordeaux que le 26 août 1783. Entre temps, une fille naît le 02 février 1783 et porte les prénoms de sa marraine et tante paternelle Marie Rose Delaunay.

En 1784, Pierre est employé par l’armateur Joseph-Sulpice Taillasson, qui lui confie le commandement de son brigantin le Vainqueur de Bordeaux, pour faire voile vers la Guadeloupe. De retour à Bordeaux en 1785, il apprend que son épouse s’est éteinte le 23 juin 1784 à l’âge de 30 ans en leur domicile situé rue du Soleil. Qui a pris la garde des enfants ?

Pierre reprend le commandement du Vainqueur de Bordeaux, cette fois en direction du Sénégal. Cette campagne de traite négrière qui débute le 10 août 1785, s’interrompt tragiquement, peu après avoir quitté Cayenne

« Le 1er février 1786, le Vainqueur de Bordeaux, un brigantin appartenant à l’armateur et négociant bordelais Joseph-Sulpice Taillasson quitte le port de Cayenne et fait voile vers la Guadeloupe pour y vendre les captifs noirs qui lui restent de sa traite au Sénégal. Mais le 9 février, le navire négrier fait naufrage au large de la Guyane hollandaise. L’équipage et une jeune noire parviennent à atteindre le rivage. Ils ne sont pas pour autant tirés d’affaire. Pour ces rescapés, en proie à la faim, au froid, aux insectes, aux vers qui les rongent vivants, commence alors une terrible marche sur une côte inhabitée et inhospitalière, à travers les marais et la terrifiante forêt tropicale où rôdent les bêtes sauvages. Seule une poignée d’entre eux y survivra…

Ci-contre l’édition du manuscrit de l’un des matelots, Louis Michel Chesnet complété par la réédition de la narration, introuvable aujourd’hui, que Pierre Delaunay, capitaine du navire, publia dès son retour à Bordeaux en septembre 1786 – Archives départementales de la Gironde, 2008

Pierre Delaunay regagne la France en embarquant à Surinam le 04 avril 1786 avec son capitaine en second, Pierre Lapeyre, et son lieutenant, Jean Baptiste Dufourg, sur un navire de commerce américain allant à Philadelphie. Ce bâtiment le dépose au passage à sa ville natale, Saint-Pierre de la Martinique.

De retour à Bordeaux, il publie le récit de son naufrage chez un célèbre éditeur de la ville, Pallandre l’aîné. Son récit n’est pas passé inaperçu puisque l’amirauté le désigne pour siéger entre le 30 août et le 11 novembre 1786 en qualité d’expert à la commission chargée d’examiner les candidats à la réception au titre de capitaine, maître et patron.

Il retourne de nouveau en mer en prenant le commandement de l’Aimable Julie, navire de 250 tonneaux appartenant à Jean-Rodolphe Wirtz & Cie. Il doit se rendre au Sénégal afin d’y récupérer des esclaves noirs a vendre à Cayenne, puis fera le même commerce avec l’Aimable Flore depuis le Sénégal et la côte de Guinée vers la Cayenne et Jacmel à Saint-Domingue.

Il est sans doute présent à Bordeaux quand sa mère meurt le 13 août 1789 à son domicile de la rue des Fossés de Bourgogne. Elle est inhumée le lendemain en l’église Saint-Michel.

Il poursuit le commerce dans la traite négrière en s’approvisionnant cette fois-ci en Gambie avec le navire le Bourbon armé par Jean Bouée et Cie d’où il part le 1er février 1790 pour Goré et, de là, pour la Sierra Leone qu’il quitte en août 1790. Parvenu au Cap-Français le 18 septembre, il y vend 243 personnes noires avant de revenir au pays. Cette campagne semble être la dernière de sa carrière… Il retrouve la France en pleine crise révolutionnaire et en guerre avec ses voisins. Le commerce maritime déjà affaibli s’effondre alors complètement… Comme de nombreux marchands bordelais en cette période, Pierre Delaunay se lance alors dans le négoce avec les Etats-Unis.

Ce commerce transatlantique permet aux négociants bordelais de faire perdurer les liaisons maritimes tout en se fournissant en denrées coloniales sous couvertures anonymes grâce à des failles administratives.

Le 07 août 1793, il obtient un passeport pour se rendre à Philadelphie, ville la plus peuplée des Etats-Unis et centre des Lumières révolutionnaires, avec son fils aîné, Jean Robert Delaunay. Tous les hommes de la famille prennent les voiles puisque son neveu Jean Souffron obtient le même jour un passeport afin de retrouver son père à Port-au-Prince. Pierre confient ses deux autres enfants, Jean et Marie Rose, à ses sœurs Adélaïde et Marie Rose Delaunay. Les garçons parviennent à quitter Bordeaux malgré l’embargo qui frappe l’ensemble des navires, peut-être sans savoir qu’une terrible épidémie de fièvre jaune frappe la ville faisant plus de 5 000 victimes, soit 10 % de la population.

Pierre Delaunay devient citoyen américain le 29 octobre 1796 et met en pension son fils en pension à Bristol, petite ville au nord de Philadelphie, lui permettant d’effectuer des voyages d’affaires.

Mais les deux sœurs de Pierre se plaignent rapidement de ne pas avoir de nouvelles de leur frère et surtout que ce dernier ne contribue pas à l’entretien de ses enfants. Adélaïde décède le 20 juin 1798 faisant plonger financièrement sa sœur qui ne peut plus prendre à sa charge son neveu et sa nièce. Jean en vient à écrire une lettre de détresse à son père lequel lui propose de le rejoindre malgré une situation mitigée : « […] je crois pourtant n’avoir rien à me reprocher vis-à-vis de tes tantes et de ton oncle Lagrange, ayant toujours été bon frère, mais l’éloignement et mon peu de fortune m’a totalement sorti de leurs cœurs. Mon ami, je travaille beaucoup, mais tu sais, dans les affaires de mer, on n’est pas toujours heureux, mais j’ai l’agrément d’avoir la confiance des honnêtes gens ». Il poursuit en expliquant que depuis 1796, il est employé par la maison nantaise Schweighauser & Dobrée pour laquelle il assure la gestion des cargaisons. Il est placé sous l’autorité de Nicolas Schweighauser qui dirige la succursale américaine de la firme. Le décès de ce dernier le plonge d’ailleurs dans les plus grandes inquiétudes quant à son avenir. « […] Il vient de m’arriver une grande perte qui est la mort de monsieur Schweighauser, mon armateur, pour qui je géras des cargaisons depuis 3 ans, qui est une grande perte pour ton papa, autant toute sa confiance et qui m’aurait fait faire mon chemin. C’est une perte irréparable. »

Jean obtient un passeport le 27 janvier 1800 et rejoint son père. Sa soeur Marie Rose semble demeurer à Bordeaux où elle y décède avant le retour de son père en 1804.

Car en effet, Pierre Delaunay revient à Bordeaux en 1804 où il signe le 10 germinal de l’an XII (31 mars 1804) par devant Maître Mathieu, notaire à Bordeaux, un contrat en vu de son mariage avec une certaine Joséphine Verrier, native du quartier de la Croix du Bouquet à Saint-Domingue et demeurant à Philadelphie depuis 1797 environ. Le couple ne semble pas très fortuné puisque la future mariée apporte en dot « les meubles meublants et ustensiles de ménages, l’argenterie et autres effets mobiliers composant l’ameublement et garniture de l’appartement que les futures époux occupent en commun au 28 rue de la rue du Cahernan ». Cette dote est estimée à 4000 francs. Pierre Delaunay n’apporte rien de son côté et indique seulement deux enfants d’un premier lit…

Le couple se marie le 17 germinal de l’an XII (07 avril 1804) et ayant obtenu un passeport la veille du mariage, Pierre retourne à Philadelphie où Joséphine Verrier donne naissance à un fils le 02 février 1808 qu’ils nomment Charles François Pierre.

Pierre Delaunay travaille comme marchand à Buttonwood Street puis sur Spruce Street. Il décède aux alentours de l’année 1813 en laissant un bel héritage à ses descendants qui se monte à hauteur de 20.000 dollars, sans compter les biens immobiliers, mobiliers marchandises et créances.

3 Comments

  • Fabien GOURDON

    Votre ancêtre et son second, Pierre de LAUNAY, capitaine du navire l’Aimable Flore et Bernard ALLEYRE, capitaine de navire, déclarent le décès de mon aïeul Jacques Robert BOURON le 11 octobre 1788 à Cayenne. C’est un détail au vu des informations très précises de votre site (bravo !) mais je vous l’indique à toutes fins utiles.

    • charlotte

      Bonjour Fabien, nos aïeux se sont donc rencontrés et possiblement fait commerce ensemble ! Des amis ou du moins des collègues ! Vous avez bien fait de me faire part de cette information, la généalogie nous absorbe et il est toujours intéressant de connaître les fréquentations de nos ancêtres. J’ai été faire un tour sur votre geneanet, c’est une mine d’or et des générations fascinantes. Vous devriez écrire leurs histoires !

  • platiau

    Bonjour et bravo pour votre site et vos recherches
    A tout hasard je recherche toute information sur un couple Jean DELAUNAY X Renée ROY dont un fils Jean Jacques, Maitre chirurgien, né vers 1715 a saint Pierre en Martinique. Lors de vos recherches avez vous rencontré la présence de DELAUNAY à Saint Pierre ?
    En vous remerciant par avance et vous souhaitant une bonne année riche de découvertes
    Charles Platiau

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